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[Roman 40k] Une dague dans l'ombre vaut un millier d'épées au soleil

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Message par Le Seigneur Du Sang Mar 5 Juil 2016 - 16:32

Maljour tout le  monde !

Ayant pris mon courage à deux mains (enfin!) j'ai décidé de me mettre à la rédaction des premières aventures d'Alicia Dawn et de ses Diables.

Cette histoire fait directement suite à mon portrait de Noël, qui est le prologue de ce qui s'annonce comme un bon gros pavé Laughing

Bonne lecture, et n'oubliez pas de laissez des commentaires ! Positifs ou négatifs, ce sont les plus grands cadeaux que vous puissiez me faire.

Chaotiquement,

SDS.

Prologue


   Mais dans quoi s’était-elle encore fourrée ? Ce fut la première pensée d’Alicia quand elle se réveilla. Elle était dans l’obscurité la plus totale, attachée les bras en croix au-dessus du sol. Une position somme toute très désagréable. Et sans ses armes. Une situation encore plus désagréable. Elle tenta de se souvenir de ce qui l’avait menée ici. L’esprit embrumé, elle se remémora les cris de douleur et d’effroi, la chaleur familière des flammes, le tressautement de son pistolet dans sa main, la douce caresse du sang sur sa peau. Pas le sien, naturellement. L’inquisitrice poussa un profond soupir. Elle ne savait pas si elle devait se réjouir d’avoir survécu, ou si elle devait désespérer de l’incompétence des hommes qui l’avaient enlevée.

    La salle fut soudain baignée d’une lumière crue brûlant ses yeux comme le feu brûle la chair. La jeune femme grimaça. Les gens n’avaient donc même plus la politesse de prévenir avant d’allumer ? Plissant les paupières, elle détailla la pièce dans laquelle elle se trouvait. À son grand étonnement, celle-ci était d’une richesse incomparable, baroque à souhait. Les murs de pierre blanche étaient cerclés de dorures, et des statues finement sculptées étaient exposées dans des alcôves très éloignées de celles austères que l’on trouvait dans les chapelles de l’Ecclésiarchie. Son ravisseur avait bon goût. Au milieu de la pièce, sur une table de bois massif, était alignée une grande quantité d’armes. Pas n’importe quelles armes, pensa Alicia. Les siennes. Oubliant momentanément sa situation, elle voulut s’en emparer, sentir à nouveau leur contact rassurant, mais les liens de cuir qui immobilisaient ses bras la ramenèrent vite à la réalité. Nouveau soupir. Empereur tout puissant, pourquoi fallait-il toujours que son cas s’aggrave à chaque seconde ?

    En face de l’inquisitrice, les lourdes portes dorées s’ouvrirent lentement. Deux hommes entrèrent dans la pièce. Le premier était à n’en pas douter un soldat. La quarantaine, il était large d’épaules et semblait pouvoir tuer un buffle d’un coup de poing. Il tenait un immense fusil d’assaut en bandoulière, qu’Alicia lorgna avec envie. Le visage du guerrier était fermé, et son regard semblait refléter la froide détermination des tueurs professionnels. Mais aussi imposant fût ce colosse, il n’était jamais que le garde du corps du second personnage. Ce dernier était un petit homme, sans âge, habillé d’un costume élégant, fait sur mesure par le meilleur tailleur de la cité-ruche. Ses cheveux noirs étaient impeccablement coiffés, et son visage se terminait par un bouc soigné. Un homme au physique relativement quelconque, dont l’apparence savamment travaillée ne justifiait pas l’aura de séduction qui l’entourait. La frustration gagna la jeune femme. C’était le Padre, l’homme dont elle avait tenté de prouver les dangereuses intentions. Alicia avait rêvé à de nombreuses reprises de pouvoir enfin l’approcher, mais dans ses songes, ce n’était pas elle qui était accrochée contre un mur à cinquante centimètres du sol. Son ravisseur s’approcha, les mains croisées dans le dos, avec une démarche d’une élégance irréelle.

– Vous me posez un immense problème, mademoiselle Dawn.

– On me le dit assez souvent, répondit sa captive, sarcastique. Certainement parce que c’est le métier qui veut ça.

   Ignorant la remarque, le Padre continua, tournant le dos à l’inquisitrice pour s’asseoir derrière la table.

– Vous avez infiltré mon organisation avec brio, je dois l’admettre. Avec tant de brio que j’envisageais de vous confier un poste assez important. Malheureusement pour vous, je me renseigne sur mes subalternes avant de prendre de telles décisions. Les mensonges que vous aviez servis aux recruteurs ont vite été éventés. Je suis même assez étonné que personne ne soit allé voir ce que vous cachiez derrière vos foulards.

   Alicia Dawn se crispa légèrement à la mention de son tatouage, symbole de son appartenance à la Très Sainte Inquisition, qu’elle avait à la base de son cou.

– Que voulez-vous, je fais peur à vos hommes. À croire que ce sont des enfants terrifiés par une pauvre femme sans défense.

   Alicia ne mentait même pas. Assez étrangement, les hommes étaient moins attirés par le sexe opposé quand celui-ci avait une peau et une chevelure immaculées et que ses yeux étaient deux charbons ardents.

– Sans défense, je ne crois pas, si l’on peut en juger par vos jouets, dit le Padre survolant d’un geste de la main les armes posées devant lui. Deux grenades à fragmentation, deux antichars, deux aveuglantes, une à vortex, une à plasma, une incendiaire, trois dagues à lame fumée, un pistolet bolter, une épée énergétique et un lance-flamme modèle Astartes.

– Monsieur est un connaisseur à ce que je vois. Moins que vos sbires malheureusement. J’ai failli m’ennuyer quand je les ai tués.

   Il la dévisagea avec un regard chargé d’une colère glaciale. Le Padre semblait avoir très mal pris que la jeune femme ait réussi à éliminer quatorze des vingt hommes chargés de la kidnapper. Il articula lentement :

– Comment pouvez-vous être insolente à ce point alors même que je peux vous abattre avec vos propres armes ?

   Un sourire en coin illumina le visage de la femme albinos. Elle adorait excéder ses ennemis. Cela lui apportait une satisfaction au moins aussi grande que de les transformer en grillades.

– Parce que vous aviez prévu de me laisser en vie ?

– Au début, non, en effet. Maintenant, je vais vous réserver un sort bien pire que la mort. Ou bien meilleur, selon votre point de vue.

– Laissez-moi deviner… Vous allez me torturer pour le restant de mes jours ? À moins que vous ne préfériez me sacrifier pour votre culte décadent ?
   
   Le Padre tressaillit légèrement à la mention de son hérésie, mais ne perdit pas sa contenance pour autant. Au contraire, il la suivit sur ce terrain.

– Vous sacrifiez ? Non, ce serait du gâchis que de détruire un joyau rare tel que vous sans en profiter avant.

   Le sourire de l’inquisitrice fondit instantanément. Son regard était suffisamment explicite pour qu’il n’y ait nulle place au doute quant à ce qu’il entendait par « profiter ». La simple idée que cet hérétique pose ses mains sur elle faisait frissonner la jeune femme. Elle se persuada que c’était de dégoût.

– Rien d’imprévisible pour un adorateur du Prince du Chaos. Je suppose cependant que vous avez encore besoin de mon esprit intact, vu que vous ne m’avez pas encore brisée.
   
   Le Padre se leva et se dirigea calmement vers l’albinos. Il ne s’arrêta que quand il fut à une dizaine de centimètres d’elle. Elle pouvait sentir son souffle parfumé, terriblement envoûtant. Alicia ferma les yeux, réprimant les images attirantes que la simple présence de l’adepte de Slaanesh provoquait en son esprit. Récitant à voix basse une litanie de haine, elle se promit de bien profiter du moment où l’hérétique brûlerait. Il allait apprendre qu’on ne nargue pas impunément une représentante de l’Ordo Hereticus. Lisant la haine dans ses yeux, le Padre sourit, l’air satisfait. Et en plus, ça lui fait plaisir, pensa Alicia. Son cas n’allait pas en s’arrangeant. Le Slaaneshi approcha sa bouche du cou de la jeune femme, semblant vouloir l’embrasser, mais il s’arrêta quand elle ne fut qu’à quelques millimètres de la surface albâtre.

– Ce que je veux, murmura le Padre d’une voix suave, c’est que vous me disiez qui vous a prévenu. Vous attendiez mes hommes de pied ferme quand ils devaient vous ramener ici. Vous avez un allié. Qui est-ce ?

– Je fais partie de l’Inquisition, siffla Alicia. C’est mon métier de tout savoir. Je n’ai pas besoin d’aide pour ça.

– Vous feriez mieux de coopérer. Je sais faire souffrir les gens.

– À la bonne heure, nous pourrions peut-être échanger quelques techniques.

   Le Padre la regarda un instant et planta ses yeux gris dans ceux vermeils de sa prisonnière. L’inquisitrice lui adressa un sourire méprisant auquel il répondit par un éclat de rire.

– Vous me plaisez vraiment, vous. Mais sachez que vous êtes à ma merci ici. Vous êtes condamnée, ma jolie, mais si vous coopérez, je me montrerai clément. Mais si malgré tout, vous vous obstinez dans votre mutisme… eh bien, n’espérez pas mourir sous la torture. Ce n’est pas dans mes habitudes d’abîmer les perles rares.

   Il se retira, son garde du corps sur les talons. L’obscurité revint, masquant la beauté de l’endroit par d’impénétrables ténèbres. Alicia respira profondément. Elle n’avait plus le droit à la moindre erreur. Sa vie allait connaître son dernier acte. Restait à savoir si ce serait une comédie ou une tragédie. Fermant les yeux, elle invoqua ses souvenirs, revivant son enquête qui l’avait conduite jusqu’à cet instant.

*
* *

   L’inquisitrice avait fini par découvrir ce qu’il se tramait dans la cité-ruche au bout de plusieurs mois d’infiltration dans les bas-fonds. Le Padre, dirigeant incontesté de la plupart des gangs du sous-monde, et dont tous ignoraient la véritable identité, était en train de livrer la cité aux griffes du Prince des Plaisirs, sans que personne, à part lui, en ait conscience. Le plan de cet hérétique était remarquable de simplicité, pourtant d’une efficacité imparable. Il avait développé, grâce à ses organisations criminelles, le trafic de drogue et la prostitution à tel point que les Eldars Noirs passaient pour des esprits chastes, et il organisait une quantité improbable d’orgies secrètes, qui rassemblaient un nombre effarant de hauts dignitaires politiques et religieux. Alicia n’avait que du mépris pour ces hommes faibles qui par leurs travers hédonistes mettaient en danger Sa souveraineté éternelle. Il aurait mieux valu confier le gouvernement de Son glorieux Imperium à la Très Sainte Inquisition. Au moins elle, elle était efficace.

   Le Padre avait gangrené la totalité de la cité-ruche avec ses manipulations, prêt à se déclarer seul maître de la cité au nom de Slaanesh. Alicia était arrivée trop tard pour pouvoir faire quoi que ce soit, et son appartenance à l’Inquisition avait fini par être éventée, signant son arrêt de mort. Enfin, ça, c’est ce que l’hérétique croyait. L’inquisitrice avait encore une carte dans sa manche.

    Une dague dans l’ombre vaut un millier d’épées au soleil, lui avait un jour dit son mentor. Une phrase assez prémonitoire, en un certain sens, vu qu’il avait été assassiné par un de ses acolytes acquis aux puissances de la ruine. Ce simple fait montrait la justesse de l’adage. Alicia sourit dans l’obscurité de la pièce. Le Padre allait avoir la surprise de sa vie. Enfin, de sa mort plutôt. Et même si son plan échouait, elle avait déjà gagné. Quoi qu’il advienne, une force de l’Inquisition était en chemin. La planète allait être purgée par le feu et le sang. La jeune femme regretterait juste de ne pas être capable de rendre Sa justice une dernière fois. Qu’importe, la seule chose qu’espérait Alicia était de rester vivante jusqu’à ce moment, afin d’observer de ses yeux le dénouement de son enquête ainsi que le magnifique spectacle son et lumière que cela laissait présager.

*
* *

   L'albinos avait perdu la notion de temps, perdue dans le noir et dans ses souvenirs. Était-ce des secondes qui s’étaient écoulées ? Des heures ? Des jours ? Des semaines ? Elle commençait à ressentir les effets de la soif et de la faim, et ses muscles immobiles commençaient à la faire souffrir. L’inquisitrice chassa la douleur de son esprit, se concentrant sur ses armes, qu’elle savait n’être qu’à quelques mètres d’elle.

    Le Padre pensait certainement que de savoir son équipement à portée de main créerait en elle un sentiment d’impuissance qui la torturerait, mais il avait tort. Tous ces objets de mort, Alicia les considérait presque comme des amis. Jamais ils ne l’avaient trahie, et elle avait plus de respect pour eux que pour les autres êtres humains, excepté les Astartes. Et encore, eux ne pouvaient plus vraiment être considérés comme des humains. Ils n’étaient que des armes vivantes à ses yeux, et l’inquisitrice avait de ce fait une immense considération pour eux. Ils ne faiblissaient pas, ne connaissaient ni la peur, ni la douleur, ni le désespoir. Alicia aurait donné n’importe quoi pour être comme eux. Elle se souvenait des moments les plus poignants de sa vie, quand elle avait pu marcher à côté de ces surhommes en armure de sable et d’argent, symboles de Sa garde éternelle, alors même qu'elle n'était encore qu'une accolyte. S’ils avaient eu un sens de l’humour un peu plus développé, ils auraient vraiment été parfaits. D’ailleurs, elle se demandait comment ils réagiraient à sa place. Eux ne se seraient certainement jamais mis dans une situation pareille, soupira Alicia.

   La lumière revint, arrachant l’inquisitrice de ses pensées. Le Padre et son garde du corps entrèrent à nouveau dans la pièce. Ce dernier ferma la porte et se plaça juste devant, les bras croisés sur son torse immense. Le Slaaneshi s’approcha d’Alicia d’un pas mesuré, son maintien toujours aussi impeccable.

– Vous avez réfléchi à ma proposition ? demanda-t-il, presque poliment.

– Parce que c’en était une ? Je demande ça parce que ça ressemblait quand même drôlement à un ultimatum, ricana la jeune femme.

– Quelle importance après tout ? La seule chose qui vaille la peine d’être entendue, c’est votre réponse.

– Je n’ai pas d’amis au sein de votre pitoyable organisation, hérétique. Combien de fois faudra-t-il que je vous le répète ?

   Le regard de son interlocuteur fut illuminé d’un éclat sadique. La jeune femme se sentit étrangement soulagée d’un poids immense. Le Padre commençait enfin à ressembler aux monstres qu’elle avait l’habitude de combattre. Un adepte des Dieux du Chaos civilisé, c’était toujours plus perturbant qu’un barbare psychopathe armé d’une hache. Cependant, elle dut très vite relativiser.

– Je ne vais pas dire que je regrette votre décision, ça fait bien trop longtemps que je n’ai pas eu l’occasion de m’amuser un peu. Alexandre, amenez-moi mon matériel, je vous prie. J’ai préparé un programme spécialement pour vous, j’espère que vous apprécierez. Tout d’abord, je vais sublimer vos courbes par des scarifications élégamment construites. Un peu comme avec un tatouage, à cela près que le motif sera rouge et non pas noir. Et ne paniquez surtout pas, les entailles ne seront profondes que de cinq ou six centimètres. Aucun risque pour votre vie, je suis quelqu’un de très précis, aucune artère ne sera touchée, et vous n’aurez pas à craindre la moindre infection. Je commencerai donc par vos bras, avant de m’attaquer à vos jambes pour finalement remonter jusqu’à votre cou. Cela ne prendra qu’une heure ou deux. Disons trois au maximum. Oh, je vois à votre air que vous craignez de ne pas profiter au maximum de l’expérience. Je vous comprends sans peine, cela peut être terriblement désespérant de vivre quelque chose d’unique avec un arrière-goût de pas assez. Mais surtout, pas d’inquiétude, j’ai dans ma réserve quelques substances qui vous permettront de décupler le plaisir. Quant à votre magnifique visage, il gagnerait à recevoir quelques pierreries qui feront ressortir à merveille la teinte si particulière de vos yeux, et il se trouve que j’ai les moyens de vous embellir ainsi. Enfin, si l’on veut bien me fournir mes outils, naturellement. Alexandre Koraner, il me semble vous avoir ordonné de chercher mon matériel, pas de rester bêtement immobile devant la porte.

– Sauf votre respect monsieur, je crains que ce soit impossible, répondit le garde du corps d’une voix calme.

– Et pourquoi donc ? interrogea le Padre, dont la douceur apparente laissait transparaître une colère titanesque.

   L’inquisitrice éclata d’un rire féroce derrière lui. Les rôles s’inversaient. Le prédateur devenait la proie, et la proie devenait le dresseur d’ours. Une dague dans l’ombre vaut un millier d’épées au soleil. Alicia déclara, le sourire aux lèvres :

– Parce qu’il ne rend des comptes qu’à moi, mon cher. Alex, tire une balle dans le genou du monsieur.

   Le Padre écarquilla les yeux quand il vit son garde du corps lever son fusil en sa direction. Il ouvrit la bouche pour protester, mais ne fit que hurler de douleur quand l’articulation de sa jambe droite fut réduite en miettes. Alicia prenait un grand plaisir à voir son tortionnaire se tortiller sur le sol en criant. Tout d’un coup, le Slaaneshi devenait moins séduisant. Mais visiblement, ce tapage semblait déplaire au soldat.

– Taisez-vous donc, larve. Cette salle est parfaitement insonorisée, ça ne sert à rien de manifester votre faiblesse avec un tel niveau sonore.

   Alexandre entreprit alors de rouer le Padre de coups de pied, jusqu’à ce que le silence revienne. Un autre spectacle très satisfaisant au goût de l’albinos. Cependant, ses muscles douloureux la ramenèrent vite à des priorités moins ludiques.

– Dis-moi, tu n’as pas l’impression d’oublier quelque chose ?

   Grommelant des excuses, à moins que ce ne fût des jurons, Alexandre Koraner détacha l’inquisitrice de ses liens. Alicia se massa les poignets et s’étira durant un instant. Rester immobile trop longtemps est vraiment une chose très désagréable.

– Voilà une bonne chose de faite, dit-elle quand elle eut terminé.

   Elle dévisagea le Padre. Il était allongé et se tenait le genou de ses deux mains, tentant d’endiguer l’hémorragie, les mâchoires serrées et le visage tuméfié. Même dans cet état, son aura de séduction ne faiblissait pas, le rendant tout à fait monstrueux.

– Vous pensez que vous allez vous en sortir ? ricana-t-il, les traits tordus par la douleur. Mes hommes vont vous tuer. J’ai presque une armée dans ce bâtiment.

– Me tuer ? C’est un programme intéressant, en effet, répondit Alicia d’un ton détaché. Malheureusement, il y a comme un problème.

– Lequel ?

– Je n’ai pas le temps de mourir, j’ai beaucoup trop de travail.

   L’albinos se tourna vers la table où toutes ses armes étaient posées. Avec une émotion presque palpable, ses doigts parcoururent la surface quadrillée de ses explosifs, s’attardèrent sur la poignée de son pistolet bolter, caressèrent le tranchant de ses lames et s’arrêtèrent sur le réservoir de son lance-flamme. Comme il était bon de retrouver la froideur du métal après un temps qui avait semblé beaucoup trop long aux yeux de la jeune femme. Avec une vivacité née de l’habitude, l’inquisitrice rangea ses armes dans ces diverses ceintures en quelques secondes, et remit sa longue veste noire. Puis elle empoigna son lance-flamme et dit sans même se retourner :

– Par les pouvoirs qui me sont conférés par la Très Sainte Inquisition et par l’Immortel Empereur de l’Humanité, je vous déclare coupable d’hérésie, d’esclavagisme, de trafic de stupéfiants et d’êtres humains et de déstabilisation politique, et vous condamne à mort par les flammes purificatrices. Avec application immédiate.

   Alicia pointa son arme vers le Padre, lui adressa un clin d’œil moqueur et appuya sur la détente. La poignée vibra dans ses mains quand le liquide fut propulsé hors du réservoir. Une bouffée de chaleur caressa son visage quand la bougie l’embrasa. La musique si familière des hurlements d’effroi et de douleur atteignit ses oreilles. L’odeur entêtante de la chair brûlée monta jusqu’à ses narines. Puis les flammes se firent moins hautes, et le silence redevint maître. L’inquisitrice était frustrée. Chaque fois, ce moment immensément plaisant où elle mettait fin à une mission se révélait beaucoup trop court. Derrière elle, son acolyte se racla la gorge.

– Si je peux me permettre, il faut encore que l’on sorte d’ici. J’ai pris des mesures pour qu’il y ait moins de gardes, mais il en reste encore une bonne trentaine. Quel est votre plan ?

– On se dépêche de s’en aller par le chemin le plus rapide, et on tue tous ceux qu’on croise. En toute subtilité, naturellement. Ensuite, on rejoint les niveaux supérieurs et on attend l’arrivée de la force de frappe inquisitoriale pour continuer de faire le ménage.

– Entendu, répondit l’autre, habitué à la légèreté de ton de l’inquisitrice sur tout ce qui touchait la mort.

Alexandre Koraner mit la main sur la poignée de la porte, prêt à l’ouvrir et à tirer à vue au signal de la jeune femme. Juste avant de le lui donner, celle-ci déclara :

– Ah, et une dernière chose. Si tu peux, trouve-moi quelque chose à manger. J’ai une de ces faims…



Chapitre 1


– Et donc tu vois Alexandre, le plus important dans le métier c’est le sang-froid. Il faut toujours rester imperturbable et ne jamais dévier de ses objectifs.

    Alicia déposa ses armes sur le râtelier disposé juste à côté de la porte d’entrée et jeta négligemment sa veste sur la table. Alexandre grimaça en comprenant ce à quoi elle faisait référence. Le spectacle de l’inquisitrice savourant un filet de bœuf dans les cuisines du Padre juste à côté du crâne explosé d’un cuisinier ne s’effacerait jamais de sa mémoire. L’acolyte, lui, ne rangea pas son fusil, préférant le garder pour le nettoyer. Non pas qu’il l’ait beaucoup utilisée lors de l’extraction de la jeune femme, mais son expérience dans la garde impériale lui avait appris à toujours privilégier l’excès d’entretien à la chance. Et ce même s’il avait un bolter à sa disposition. Les habitudes étaient tenaces.

    La fuite hors du repaire du Slaaneshi avait été aisée. Presque trop au goût d’Alicia. Elle aurait aimé pouvoir se défouler un peu plus après sa détention. La mort du Padre, si satisfaisante soit-elle, ne lui avait pas suffi. En plus, il avait fallu que sur les seuls huit gardes qui s’était interposés entre elle et la sortie, Alexandre en abatte cinq. Mais bon, elle s’en contenterait. L’opération était un franc succès après tout, il n’y avait aucune raison d’être de mauvaise humeur.

    La planque qui leur servait de base arrière pour leurs opérations se trouvait sous une chapelle en ruine des niveaux inférieurs, à l’emplacement d’anciennes catacombes. Les souterrains avaient été aménagés par le conclave de l’Inquisition auquel appartenait Alicia, et, bien que la partie qu’utilisaient l’albinos et son acolyte fût d’une superficie importante, de nombreuses salles et couloirs demeuraient vides, inoccupés et inexplorés. En réalité, l’inquisitrice ne connaissait même pas l’étendue de sa cachette. D’un autre côté, elle ne voyait aucun intérêt à le savoir. Tant que tout le matériel dont elle avait besoin était à sa portée, elle n’allait pas perdre son temps à des futilités telles que consulter des plans.

    Le refuge inquisitorial en lui-même était austère. Les pièces rectangulaires étaient de béton nu, sans aucune aspérité ni aucun détail pour rompre l’uniformité de leurs murs, si ce n’étaient les lampes d’alerte cerclées d’acier et froidement éteintes. Une lumière crue était crachée du plafond à intervalle régulier, ajoutant un éclat maladif à l’atmosphère opressante de ce bunker tentaculaire. La seule décoration visible était un aigle bicéphale peint en noir sur un mur de la salle principale sous lequel l’on pouvait voir l’inscription « Servez l’Empereur aujourd’hui. Demain, vous serez peut-être mort ». Alicia ne pouvait s’empêcher de penser que cette phrase était particulièrement adaptée à son travail.

    L’inquisitrice se dirigea vers une salle adjacente. Alexandre, déjà en train de démonter son fusil d’assaut, la regarda du coin de l’œil entrer dans la cuisine. Quelques secondes plus tard, la jeune femme reparut une pomme à la main, et s’engouffra dans la pièce où était installés la plupart des cogitateurs. Il soupira. Elle ne devait pas suivre les lois élémentaires de la biologie, ou alors elle ne devait pas être entièrement humaine. C’étaient les seules explications à ses yeux pour justifier le besoin irrépressible de manger qu’avait l’albinos. Mais si seulement il s’agissait du seul comportement étrange d’Alicia…

    Le vétéran commença à consciencieusement astiquer son arme. Il s’agissait du fusil réglementaire des Forces de Défense Planétaire locales, un modèle semi-automatique Mk 2. Pas le meilleur, il avait tendance à s’enrayer plus facilement que le Mk 1 et était bien moins précis que le Mk 4. Cependant on ne trouvait pas mieux sur le marché noir, et son ancien propriétaire avait eu le bon goût de le trafiquer pour y intégrer un mode automatique fort utile. Mais bon, cela ne valait pas son bon vieux bolter gracieusement offert par l’Inquisition, malheureusement trop caractéristique pour des missions d’infiltration.

– Alexandre, tu peux venir s’il te plait ?

    L’acolyte se figea. Quand Alicia devenait polie, c’est qu’elle était soit de très bonne humeur, soit très en colère. Et il avait comme la vague impression qu’elle était dans le second cas. Il posa son fusil sur la table devant lui et alla rejoindre l’inquisitrice.

    Alexandre jeta un rapide coup d’œil à la multitude de voyants aux clignotements anarchiques qui émergeaient dans le fouillis de câbles, de turbines et de claviers qui composait la salle des machines. Le soldat évitait toujours d’y entrer. Il avait peur de dérégler les précieux appareils par un geste malheureux. Il ne pouvait que frissonner en imaginant quel serait le courroux d’Alicia si cela advenait. L’inquisitrice tournait dos à l’écran du cogitateur le plus imposant, un sourire forcé sur les lèvres.

– Vous m’avez appelé, madame ? demanda Alexandre.

– Dis-moi mon cher, tu pourrais me lire la réponse du conclave à notre demande de renfort, juste sur cet écran-là ? dit-elle d’un ton excessivement mielleux.

    Le soldat s’approcha et lut à voix haute.

– Pensée du jour : votre esprit est une forteresse, la foi, ses remparts, commença-t-il. Ave Domina Inquisitoria. Nous avons pris connaissance de votre situation, et le conclave a pris les mesures nécessaires pour y remédier. Un régiment de troupe de choc est en route vers votre position, mais les remous actuels du Warp ralentissent considérablement leur vitesse. Les Navigators estiment leur arrivée à dans un mois. L’Empereur vous garde.

    Alexandre déglutit. Il comprenait la raison de la colère de la jeune femme. Il se tourna lentement vers Alicia. Son sourire avait disparu. Deux longues secondes s’écoulèrent dans un silence pesant. Puis, l’inquisitrice explosa.

– Un mois ! cria-t-elle, la voix déformée par la colère. Un putain de mois !

     De frustration, elle jeta sa pomme à moitié dévorée sur le cogitateur, qui rebondit avec un bruit humide.

– Je suis sur une planète rongée par le stupre et l’hérésie, et ils me disent d’attendre trente jours ! Mais ils croient quoi ? Que je ne risque rien ? tempêta l’inquisitrice. Bordel, si les autorités ont vent de ma présence, on meurt dans la journée !

    Alicia se força à prendre une longue inspiration pour se calmer. Si c’était un autre inquisiteur qui était à sa place, les renforts seraient plus rapides, elle en était persuadée. Le conclave n’avait jamais aimé son mentor, et leur détestation s’était transférée sur elle après sa mort. Elle haïssait ses semblables. Dire que leurs petits jeux personnels mettaient en danger un secteur entier de Son glorieux Imperium. Elle n’avait pas besoin d’eux pour accomplir son devoir.

– On va commencer de notre côté, continua-t-elle les mâchoires serrées. On va déjà nettoyer le sous-monde tout seuls, puis une fois que ces incapables seront arrivés, on va remonter vers le haut du panier.

    Alexandre ouvrit la bouche, puis se ravisa. Il n’avait aucune envie de mettre l’inquisitrice de plus mauvaise humeur. Cependant, son esprit pratique l’emporta.

– Mais madame, intervint l’acolyte, avec l’étendue des agissements du Padre, nos cibles se comptent en milliers. Même en ne gardant que les plus influentes, il faudrait éliminer au moins trois cents personnes pour que notre purge soit efficace.

    Surtout garder son calme. Alicia foudroya le vétéran de son regard rougeoyant, le réduisant instantanément au silence.

– Sache, mon cher, que le serpent est l’animal tutélaire de Slaanesh, expliqua-t-elle sèchement. Nous allons donc faire face à la menace qu’il représente comme nous combattrions un de ces reptiles. Inutile de vouloir lui percer le cœur, il suffit de le décapiter. Et on pourra le faire dès ce soir.

– Excusez-moi, dit Alexandre en fronçant les sourcils, j’ai peur de ne pas vous suivre…

    Profond soupir. Décidemment, elle avait l’impression d’être d’une intelligence hors norme à côté du soldat. Est-ce que ça lui arrivait de penser de temps à autre ?

– On vient d’exécuter le Padre imbécile, souffla Alicia en levant les yeux au ciel. Et à ton avis, qu’est-ce qu’il se passe quand le chef d’une organisation mafieuse meurt ?

    Alexandre détestait quand l’inquisitrice lui parlait sur ce ton. Certes, il n’avait pas l’esprit d’un enquêteur, mais cela ne l’empêchait pas de se sentir bafouer dans son honneur d’ex-garde impérial.

– Ses lieutenants vont chercher à le remplacer, répondit-il en masquant son exaspération. Mais ça n’explique pas comment vous savez qu’ils vont se réunir ce soir, ni où ils vont le faire.

– Ah, mais ça je n’en ai aucune idée, déclara la jeune femme avec son sourire si caractéristique. J’ai juste une petite théorie, une bonne dose d’intuition féminine et une sacrée chance. Si tu as des choses à faire, dépêche-toi, on part dans deux heures.

    L’acolyte ne savait absolument pas comment réagir aux paroles de l’inquisitrice. Cet enthousiasme soudain et irraisonné le mettait mal-à-l’aise. Terriblement mal-à- l’aise. Il acquiesça d’un signe de tête et sortit de la pièce.

– Et tu peux prendre ton bolter cette fois, lança-t-elle alors qu’il passait le pas de la porte. Je crois que tu vas en avoir besoin.

*
*      *

    Le Chat Doré était un établissement du Padre qui aurait été défini comme un « bar à hôtesses » dans les niveaux supérieurs. Mais comme il se trouvait au sein du sous-monde, Alicia lui préférait le terme de « maison close avec option alcool et drogue ». Un lieu de débauche miteux qui représentait tout ce qu’Alicia abhorrait : l’abandon de toute valeur morale, l’avilissement, la fuite dans les spiritueux, l’esclavage et le déshonneur. Elle ne trouvait rien qui ne vaille la peine d’être sauvée dans un endroit pareil.

    L’inquisitrice y était allé à de nombreuses reprise quand elle avait infiltré le gang du Slaaneshi. Non pas pour consommer, comme de nombreux drogués l’avaient appris à leurs dépens, mais bien parce que sous sa façade de maison de plaisir, le Chat Doré était le point de rencontre et d’échange le plus utilisé par l’organisation mafieuses quand il fallait signer d’importants contrats ou bien définir les stratégies d’attaques lors des guerres de gangs.  

    Cependant, ce n’était pas cela qui poussait Alicia à penser que les lieutenants du Padre s’y trouveraient. Non, en réalité, elle avait souvenir d’une simple porte au fond d’un couloir du dernier étage. Un bête panneau de bois dont la peinture sale s’intégrait parfaitement avec le reste du bâtiment. Elle n’y aurait certainement jamais fait attention s’il n’y avait pas eu un garde en faction devant-elle à chaque fois que quelque chose d’important se passait.

    Les hommes de confiance du Padre se réuniraient au dernier étage du Chat Doré après la mort du Padre, Alicia en était persuadée. Forte de cette conviction, elle marchait la tête haute dans les rues désertes et crasseuses, Alexandre quelques pas derrière-elle. La nuit était déjà tombée depuis plus d’une heure, assombrissant encore les ruelles de bas-fonds, déjà sous le nuage de pollution. Les lampadaires encore debout étaient hors-service depuis bien longtemps. À croire que les services d’entretiens craignaient de s’engager plus bas que les quartiers médians. Sans doute était-ce réellement le cas, à réflexion, songea l’inquisitrice.

    Alexandre, lui, se sentait revivre. Après avoir été mêlée dans des opérations dont il ne voyait jamais les tenants et les aboutissants, être de nouveau au cœur de l’action, un objectif simple et précis en tête, lui donnait l’impression d’être de retour dans la Garde.  Ses vieux réflexes étaient reparus aussitôt qu’il avait empoigné son bolter et mis son armure Flak. Avec cet équipement, il avait déjà vaincus bien des ennemis. Il avait survécu à bien des épreuves. Alexandre sourit. Il se sentait invincible.

    Au détour d’une ruelle encore plus étroite que les précédentes, ils débouchèrent sur une allée pavée étrangement bien entretenue menant tout droit vers le Chat Doré. Construit sur les bases d’un hab-bloc abandonné, le bordel en avait gardé la silhouette rectangulaire sans âme, mais l’avait cependant recouverte d’une couche de plâtre de mauvaise qualité et de quelques fresques à moitié dévorées par la pollution. Alexandre trouvait ça du pire des goûts possibles. Peut-être que le but était de faire écho aux prestigieuses villas des niveaux supérieurs, mais le résultat n’en était qu’une grotesque parodie.

    Cependant, quelque chose n’allait pas. Il n’entendait pourtant aucun bruit qui ne puisse laisser présager un piège. Rien qui ne représente une menace. Alors que la maison-close se faisait plus proche, il réalisa l’entière nature du problème. Le silence. L’absence totale de son. Pas un éclat de voix, pas une âme qui vive.

    Alicia pensa la même chose que son acolyte. Elle fronça les sourcils. Cela n’avait pas de sens. Même si elle s’était trompée, le Chat Doré devrait être occupé. Jamais il n’avait été fermé durant son infiltration.

    La lumière passait travers les fenêtres du bâtiment, clairement visible dans l’obscurité nocturne. Étrange, cela voulait donc dire qu'il y avait bien des gesn à l'intérieur. L’inquisitrice avança prudemment jusqu’à la porte. Elle fit un signe de tête à Alexandre, qui se mit en joue, prêt à abattre quiconque se trouvait à l’intérieur. Alicia dégaina son arme favorite, un vieux pistolet de duel incroyablement précis, posa la main sur la poignée, prit une profonde inspiration et ouvrit la porte d’un grand coup.

    Trois hommes et une femme, probablement la prostituée chargée de les accueillir, étaient étendu sur le sol dans le hall d’entrée. La large tâche écarlate autour d’eux ne laissait aucun doute sur ce qui leur était arrivé. Un frisson parcourut l’échine de l’albinos. Elle avait un mauvais pressentiment.

– Morts, confirma Alexandre après avoir pris le pouls des victimes. Assassinés.

     Alicia courut vers l’extrémité du couloir, abandonnant toute prudence. Ses pas résonnèrent follement dans son esprit et sur le parquet ciré. Elle poussa violemment les battants de l’imposante double-porte à l’autre extrémité du corridor. Elle se figea immédiatement après. Par l’Empereur…

    Le Chat Doré était mort. Au sens premier du terme. Clients, mafieux et fille de joie gisaient dans leur sang. Certains étaient effondrés sur le bar, tête à côté de leur verre. On aurait pu croire qu’il ne s’agissait que de simples ivrognes, mais les tiges noires ressortant de leur gorge clamaient une réalité plus violente. D’autres était passés de vie à trépas une femme légèrement vêtue dans les bras. Au fond de la salle, quatre hommes à l’air louche étaient égorgés devant une pile de jetons effondrée. Alicia baissa les yeux. Le sang coulait déjà sur ces bottes. Les enfoirés, pensa-t-elle, même morts ils arrivaient encore à l’énerver. Elle essuya ses semelles sur un cadavre proche, un vieil homme chauve aux vêtements élimés, avant de réaliser l’effroyable. Ses proies étaient peut-être déjà mortes…

    Elle monta les marches quatre à quatre pour atteindre le dernier étage. L’inquisitrice enjamba sans ralentir les cadavres toujours plus nombreux qui s’accumulaient à chaque palier. Toujours les mêmes images : gorges tranchées, nuques percée de pointes sombres, cages thoraciques perforées… Et le sang. Des mares de sang. Un vaste océan d’hémoglobine inondant le Chat Doré. Accélérant l’allure, elle finit par arriver, essoufflée, au dernier étage.

    Le garde devant la porte était mort sur sa chaise, la poitrine percée. La jeune femme enjamba son corps, et entra sans plus tarder dans la pièce interdite.

– Putain de bordel de merde, jura-t-elle de frustration aussitôt après. Mais je n’ai plus le droit de tuer personne ou quoi ?

    Les lieutenants du Padre se trouvaient autour d’une table. Morts comme les autres. Leur front était ensanglanté et leurs vêtements colorés étaient tâchés de rouge. Elle remarqua une lettre miraculeusement encore lisible entre les mains de l’un deux, qu’elle reconnue comme étant Max, le bras droit du Padre. Elle la lui arracha des mains et la survola rapidement. Rien de transcendant, il ne s’agissait que du testament de leur chef qui leur enjoignait de se réunir pour élire son successeur. Manifestement, le Slaaneshi ne s’intéressait pas assez à ses hommes pour être capable de lui-même nommé son héritier. Sept noms étaient cités dans la lettre comme étant les possibles prétendants. L’inquisitrice compta rapidement les corps. Il n’en manquait aucun, ce qui écartait la thèse d’un assassinat pour prendre le pouvoir.

    Voir les visages des victimes masquée par leur sang perturbait Alicia, qui s’approcha du premier, pour lui essuyer la face de sa main. Le sang encore tiède coula sur sa peau blanche, révélant de curieuses entailles. Une lettre avait été gravée sur sa peau. Un F. Sans réfléchir, l’inquisitrice se précipita sur les autres cadavres. Sa veste se macula de fluide pourpre. D’autres lettres furent révélées. A. I. B. L. E. S.

– Faibles, murmura Alicia. Empereur Tout-Puissant, à quoi ça rime tout ça ?

    Elle observa plus attentivement les corps sans vie des mafieux. Elle retira un des mystérieuses tiges noires de la gorge d’un lieutenant. C’était un carreau d’arbalète à la pointe étrange. Pas une triangulaire, comme l’on pouvait s’y attendre, mais bien une demi-lune extrêmement aiguisée. Alicia n’avait jamais vu ça. Elle tourna lentement autour de la table, fixant le visage de chacune des victimes. Ceux en face de la porte exprimaient l’incompréhension ou la surprise. Ils avaient un carreau dans la nuque. En face d’eux, l’effroi dominait. Les traits atteignaient la gorge ou le cœur. Ils avaient vu leur assassin. Ou leurs assassins. Peu probable qu’un homme seul puisse causer un septuple meurtre suffisamment vite pour que l’effet de surprise soit total.

    L’inquisitrice inspecta les fenêtres. L’une d’elle était entrouverte. Elle regarda vers le sol à travers ses vitres salies par la pollution. Une cinquantaine de centimètre plus bas se trouvait une mince corniche, qui faisait le tour de tout le bâtiment. Les meurtriers étaient passés par là. Alicia ne pouvait s’empêcher d’admirer leurs sens de l’équilibre si cette hypothèse devait être vérifiée.

    Elle se retourna vers la table et se reconstitua la suite de la scène. Ils avaient tirées tous d’un coup, afin qu’aucune de leur cible n’ait le temps d’hurler. L’un d’eux avait ensuite planté une lame dans la poitrine du garde par surprise. Ils avaient gravés leur message sur le front des hommes du Padre, puis éliminé méthodiquement chaque être humain présent dans le Chat Doré. Du travail rapide et efficace. Voilà pour le comment. Restaient le qui et le pourquoi.

    Alicia essuya ses mains sur les vêtements d’un des morts et descendit rejoindre Alexandre. Celui-ci remuait chaque corps avec ses bottes, à la recherche de survivant. L’odeur du sang imprégnait ses narines, semblant s’installer à l’intérieur de son crâne. Il avait compté plus d’une quarantaine de corps. Ceux qui avaient fait ça ne se souciaient d’aucune règle. Hommes ou femmes, jeunes ou vieux, civils ou mafieux, tous avaient connu le même sort. Et bien que nombreux étaient armés, personne n’avait eu le temps ne serait-ce que de dégainer leur pistolet.

    Alexandre entendit un craquement et réalisa qu’il venait de briser les côtes du cadavre d’une prostituée. Il regarda le corps ensanglanté de la femme avec un regard froid. Le spectacle d’un tel charnier l’aurait sans doute dégouté il y a une dizaine d’année, mais après avoir vécu dans la boue des tranchées durant le plus clair de sa vie, cela ne lui inspirait plus rien. Le soldat se tourna vers l’inquisitrice.

– À votre avis, qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il à Alicia. Un règlement de compte avec un gang rival ?

– Aucune autre organisation criminelle n’est assez puissante pour porter un coup pareil au Padre, même s’il est mort, répondit la jeune femme d’une voix égale. Et je n’en connais aucun qui utilise des arbalètes pour accomplir ses basses besognes. Je pense que c’est quelque chose de plus personnel, de plus…

    Elle s’arrêta d’un coup. D’un geste, elle intima le silence à son acolyte. Il lui semblait entendre un léger murmure. Alicia marcha à grands pas vers le comptoir, l’escalada et regarda en dessous. Recroquevillée entre deux bouteilles renversées, une femme blonde au maquillage prononcé se balançait en chuchotant des paroles que l’inquisitrice ne parvenait pas à entendre. Alicia se rapprocha d’elle et approcha son visage du sien. Elle grimaça en sentant l’immonde parfum de la catin.

– Du sang pour le dieu du sang, répétait-elle sans s’arrêter… du sang pour le dieu du sang… du sang pour le dieu du sang… du sang pour le dieu du sang… du sang pour le dieu du sang… du sang pour le dieu du sang… du sang pour le di…

    Une détonation retentit. Alicia souffla le canon fumant de son pistolet et se releva. Elle poussa légèrement le cadavre de la prostituée, le faisant tomber au sol avec un bruit mat.

– Je crois que nous avons une seconde enquête à mener Alexandre, déclara simplement l’inquisitrice en guise d’épitaphe. Demain, nous allons faire une petite visite en prison.

– En prison ? répéta Alexandre. Pourquoi ?

– Je crois, commença Alicia… je crois qu’il est temps pour toi d’avoir des collègues de travail.
A suivre


Dans les ténèbres, l'aveugle est le meilleur des guides. En cet ère de démence, faites confiance au fou pour vous montrer le chemin.

Il existe trois comportements abjects : la traitrise, la lâcheté et l'incompétence. Ce qui est assez amusant, c'est que se défendre d'une de ces accusations confirme souvent les deux autres.

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Message par - Talos - Mar 5 Juil 2016 - 17:22

J'aime pas l'Inquisition...

Mais j'aime Alicia Smile

Très bon texte, on se prend vite au jeu grâce au scénario qui démarre de façon assez simple pour entrer dans le vif du sujet, et qui se complique par la suite avec des personnages vrais, aux personnalités rapidement évoquées. J'aime bien le fait qu'Alicia tempête dès qu'elle voit un truc qui n'est pas à son goût. Et Alexandre me fait penser à cette couverture de l'ancien Codex Combats Urbains sur laquelle on voit un Cadien tirer au bolter Wink

Pour la petite coïncidence :
Spoiler:


En tout cas, j'ai hâte de lire la suite ! Ta rédaction est agréable, typiquement dans ce que j'apprécie en termes de style Smile Tous mes encouragements !!!

[EDIT] Ton titre est lui aussi très sympa Wink


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