[Portrait de Valten] Reinkarnation

"Mon fils. Au jour de ta naissance, même les forêts de l’Empire ont murmuré ton nom…Valten."

- Kurt, Maître forgeron de Lachenbad




"Connaissez-vous le sens du mot Némésis? Un juste et divin châtiment légitimement infligé par l'intermédiaire ou au moyen d'un agent approprié.
Il est leur Némésis, Karl. Confiez-lui Ghal Maraz."

- Luthor Huss à l’Empereur Karl Franz, s’entretenant sur la lutte contre le Chaos

Tous le croyaient mort, et pourtant il était debout.

Mort debout, il aurait pu l'être, il aurait dû l'être, à la manière d'un de ces héros de la mythologie Cathayenne, d'une inflexibilité absolue même dans le trépas, leur volonté inébranlable les figeant dans une posture de défi éternelle.

Ce ne serait jamais le cas.


D'une immobilité totale, de celle que ne devrait normalement procurer que la rigidité cadavérique, sa silhouette parfaite était pourtant parcourue d'infimes déplacements fugaces, ceux des filets perlés de son auguste suée, traçant des mouvements descendants par-dessus le relief de sa musculature apollinienne.

Mort, il ne l'était pas. Pas encore.


Dans le lointain, provenant de l’obscure forêt, divers craquements et bruissements se faisaient encore entendre, les ultimes témoins de la fuite honteuse des quelques bêtes ayant survécues à sa fureur.

Son poitrail écumant était une vitrine à la gloire des lésions et autres ecchymoses, ces dernières néanmoins éclipsées par la large marque en forme de comète à deux queues qui ornait son buste, et qui elle ne s'estomperait jamais.

Pas un seul tic de souffrance ne transparaissait sur son visage hâlé, malgré l’état de son deltoïde gauche, réduit à un cratère sanguinolent après avoir été empalé par presque deux décimètres de kératine lors de la charge frontale du Gor alpha.


Continuant à fixer le cadavre monstrueux, l’unique expression discernable sur le masque d’une placidité inébranlable composant son visage était la lueur d'exécration absolue qui émanait de ses yeux pailletés d’or.


Pour les roturiers ayant survécu à l'anéantissement du village, et qui le contemplaient à présent d’un air extatique, il avait tout l'air du parfait avatar guerrier, armé de l'outil d'un Dieu.

Les trente livres de fonte formant la tête de son marteau de forgeron reposaient nonchalamment sur son épaule droite, les éclats du soleil le nimbant d'une puissante aura dorée.

Son jumeau demeurait sur le sol de terre retournée, à plusieurs mètres de là, près du crâne colossal du meneur homme-bête, littéralement éclaté suite à l'impact fulgurant d'un lancer terrible.


L'absence d'essoufflement aurait dû être impossible après de tels efforts physiques.

Et pourtant, il respirait calmement, avec les profondes inhalations du dormeur passif depuis plusieurs heures.

Son dos, cet énorme V surmonté de trapèzes colossaux, était vierge de toute cicatrice.

Pas une des deux-cent dix-sept lacérations que présentait actuellement son corps n’entachait son exemplaire envers musculeux, témoin d'une volonté de fuite inexistante.


Il semblait invincible. En réalité, il l’était. Presque.

Le poison. Une telle abomination...


Parmi les effluves musqués des cadavres à la fois humanoïdes et ovins jonchant le hameau dévasté, les relents de la putréfaction ne se faisaient pas encore sentir.

Elle ne tarderait guère à venir, cette vague méphitique qui annihilerait d’ici quelques heures le léger arôme d’humus ambiant, caractéristique olfactive propre aux milieux arboricoles.


Un son commença à se répandre parmi les villageois en armes, d’abord murmuré, puis finalement scandé, puissamment, inlassablement.

Deux syllabes conjuguant la robustesse et l’exemplarité de l’Empire.

« VAL-TEN ! »

Ils l’acclamaient.



En marge du groupe, une silhouette se détacha soudainement de la masse des corps en liesse avant de se presser d’une démarche éreintée mais pleine d’allégresse vers le sentier qui menait aux bourgades alentours.

Le premier émissaire d’une légende naissante.



Beaucoup sursautèrent lorsqu’il cligna des yeux, subitement, comme au sortir d’un réveil contemplatif.

Son visage aquilin, auréolé d’or en contre-jour d’un soleil rasant, se tourna vers ces quelques hobereaux encore en vie, tous des voisins qui l’avaient vu grandir, et il leur sourit, ses dents d’une blancheur étincelante tranchant avec sa peau bronzée et ensanglantée.


Il était Valten. Sauveur de Lachenbad. Réincarnation de Sigmar.

Et il était condamné.