[Lettre de Sang 10] J'ai vu le Feu
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[Lettre de Sang 10] J'ai vu le Feu
Le Conteur a écrit:
Il prit la route du Nord,
bien qu'aucune route ne soit plus guère visible ; pas même une piste tracée par les bêtes.
Il traversa d'innombrables paysages, pays et climats, et la nature semblait devenir muette à son passage.
Marchant de jour comme de nuit, il ne laissait derrière lui qu'un sillon éphémère dans le sable, la neige et la boue.
Un jour enfin, il arriva aux portes d'une forêt noire comme un tombeau, où le soleil n'entrait pas.
Devant lui, enchevêtré sous un siècle de racines, un chemin de pierre blanche s’enfonçait en luisant dans la pénombre du sous-bois.
Il sourit. Il n'était plus seul.
Il n'était plus seul. Oui. Mais la solitude ne pouvait-elle se résumer qu'à l'absence de présence physique ? Il y a longtemps que cela n'était plus le cas pour lui. Depuis son premier exil, jusqu'à ses errances les plus récentes. Et aujourd'hui encore, et sûrement jusqu'à la fin des Temps. Le chemin s'ouvrait devant lui, et de sa vue que trop longtemps privée de cette lumière particulière, il en retrouvait toutes les subtilités, toutes les nuances. Un dégradé de vert, un zeste d'orange. Une teinte fugace d'un rayon de soleil à son crépuscule, un gris mousseux de l'écorce d'un arbre. Des couleurs sommes toutes semblables aux autres forêts du Vieux Monde, mais toutes ces autres forêts n'étaient pas son monde à lui.
Et avec ce kaléidoscope de couleurs, venait un panel de senteurs et de saveurs dont ses sens n'avaient que trop longtemps été privés. L'odeur de la pluie, et du délicat parfum qu'elle laissait sur les feuilles, celle du vent sucré qui soufflait entre les branches, charriant l'odeur féroce et emplie de puissance des créatures qui habitaient ses bois. Mais tout cela n'était rien en comparaison du son. De cette musique, de cette unique mélopée, de ce sentiment étrange qu'elle produisait en son sein, endormant son esprit, réveillant son lien avec la forêt. Les battements du cœur d'Athel Loren ne souffrait nulle comparaison.
Laissant ses doigts effleurer les herbes, les laissant glisser le long de l'écorce des arbres, du revêtement mousseux de la pierre, il continuait à s'avancer, suivant ce chemin blanc qui semblait ne s'ouvrir que pour lui. Quiconque l'aurait suivi se serait inévitablement perdu, la forêt traitant un étranger comme le pire des intrus. Mais lui, lui se serait laissé perdre volontiers pour pouvoir à jamais en parcourir les sombres et enchanteresses frondaisons. Sa longue vie s'étirait depuis des siècles déjà, il avait vu vivre et mourir tant de choses en ce monde et ailleurs, qu'il n'aspirait désormais qu'à un peu de calme, une légère sérénité, une paix, qui bien qu'il savait qu'elle ne serait qu'éphémère, n'en était que plus belle, car elle ne brillait jamais autant qu'avant de disparaître.
Il n'était plus seul. Il était chez lui. Mais il savait au fond de son cœur, qu'il repartirait à nouveau.
Aussi attaché à son monde qu'il l'était, il n'arrivait jamais à se défaire, à se séparer, de cet étrange sentiment qui l'amenait toujours à quitter la relative sécurité de son foyer. Il était un solitaire, un forestier, un Gardien des chemins et des sentiers d'Athel Loren. Il en connaissait plus sur cette forêt que nombre de ses frères. De ses recoins les plus sombres, où ne régnaient que folie et meurtre, à ses edens secrets, ses jardins suspendus dans un océan de colère et d'apaisement, des îlots de bien-être et de douceur, aussi rares que magnifiques. Mais il savait que les sentiers ne se souciaient guère des frontières des Elfes.
A l'aube d'un crépuscule, il y a des siècles déjà, il était parti pour la première fois. Laissant Athel Loren disparaître derrière lui, il s'était aventuré par-delà les Montagnes, plongeant son regard dans une forêt noire et désespérée, l'anathème le plus parfait de celle qu'était la terre des Asrai. La corruption gangrenait chaque parcelle de terre, et les mugissements de bêtes sanguinaires résonnaient entre les branches, le vent qui les portait charriant une odeur de sang et de mort. Effrayé, meurtri dans son âme et dans son cœur, il s'en était alors retourné sur ses pas, désireux de guérir son cœur de la décrépitude dont il avait été le témoin. Il s'était alors juré de ne plus jamais s'aventurer hors de ses frontières.
Il n'avait jamais été doué pour tenir une promesse.
Son second voyage l'avait conduit plus loin encore, alors que la jeunesse habitait encore son cœur avec ardeur. Parcourant les terres de Bretonnie, il était parti loin vers le sud, ne voyageant que de nuit, où à la tombée du jour. Il n'avait été qu'une ombre parmi les ombres, observateur silencieux d'un monde semblant tourner au ralenti, tout en courant éperdument vers son trépas. Il avait admiré les oriflammes colorés et les armures ouvragées des Chevaliers, admiratif devant la force des chevaux qu'ils montaient, désespérait de voir que certains de ses hommes se complaisaient à en servir d'autres, sans aucune raison moins prosaïque qu'un rang pour les tenir dans cet état servile.
Une nouvelle fois, il s'en était retourné chez lui, l'esprit emplit d'images et de souvenirs, de choses qu'il serait le seul à se souvenir dans cent ans, dans mille ans. Un Elfe n'oubliait jamais, peut-être avait-il seulement du mal à se souvenir, mais chaque chose avait sa place dans le panthéon de sa mémoire et de son esprit.
Puis les guerres et le poison avaient pris d'assaut sa forêt. Les mêmes bêtes que les hommes de l'Empire n'avaient de cesse de chasser s'en étaient pris à eux. Il avait combattu, et comprit alors qu'il ne s'était rendu compte de la valeur d'une vie qu'une fois que celle-ci s'éteignait. Ayuta était morte un soir d'automne, une hache figée en travers de la poitrine, son sang nourrissant Athel Loren, comme une offrande pour un passeur inexistant. Elle l'avait regardé une dernière fois, caressant sa joue de sa main incrustée de sang. Puis elle s'était éteinte. Terio lui avait sauvé la vie, l'écartant de la charge d'une créature aussi difforme qu'incohérente. La bête avait emporté son frère, avant de s'en saisir et de séparer sa tête de son corps d'un coup de croc. La fureur d'Arahan l'avait alors envahie, et quand il revint à lui, sa douleur n'en fut que plus grande encore.
La fin des conflits avait sonnés le début de son troisième et dernier voyage à ce jour. Il était parti pour une seule raison. Son cœur s'envenimait, se laissait gangrener par le poison de la colère et de la vengeance. Il en voulait aux Hommes-Bêtes de lui avoir tant pris, il en voulait à son peuple d'être aussi fragile, lui qui n'avait de cesse de s'enorgueillir de sa force. Il en voulait à Athel Loren de n'avoir pas protéger ses enfants. Alors pour éviter cela, il était parti. Son voyage fut le plus long qu'il n'eut jamais entreprit.
Il prit la direction de l'est, suivant les courbes de l'horizon, se guidant aux rayons du soleil couchant. Il parcourut les terres des Hommes, solitaire. Il vit des cités rongées par l'orgueil et l'avarice, des mercenaires piller villages et chaumières sans raison. Partout où il se rendait, il ne trouvait que la mort et le froid. Le froid des cadavres, le froid de l'absence de vie. Il prit le chemin des Montagnes Enneigées, où s'érigeaient encore les ruines d'une grandeur et d'une gloire passée, d'une époque que chacun parmi son peuple connaissait. Une époque où les Elfes et les Nains étaient unis par l'amitié et le serment, avant que des sentiments très humains ne les déchirent, eux qui se prétendaient si différemment de ses barbares nomades qu'étaient les hommes de ce temps.
Pour la première fois depuis son troisième départ, il s'arrêta. Pas pour se reposer, ni pour se nourrir. Seulement pour admirer. Admirer la vue qui s'offrait à lui, voir que les merveilles de ce monde ne résidaient pas dans les créations humains, naniques ou elfes. La Nature se suffisait à elle-même. Ils n'étaient que de passages, simples bénéficiaires des bienfaits que la terre offrait à quiconque parvenait à se pencher pour en ramasser les fruits. Il fit alors sa première offrande à cet autre monde. Chuchotant un peu de magie, il enchanta une flèche, pour qu'elle survole à jamais ces sommets et ces versants qu'il n'aurait jamais pensés voir un jour.
Puis il reprit sa route.
Un silence chargé de souvenirs. Un désert infini, un vent charriant un millier de murmures de choses passées et d'autres à venir. Sans réellement comprendre pourquoi, il n'osa pénétrer plus avant, se contentant de longer la côte de cette terre désolée, scrutant le reflet auréolé d'or des nefs de la lointaine Zandri. Voilà déjà trois ans qu'il était parti. Trois ans qu'il n'avait plus entendu sa propre voix. Trois ans qu'il n'avait vu que les hommes de loin. Trois ans qu'il était seul, absent des sensations dont il remarqua subitement le manque. Son esprit lui dictait de continuer, de poursuivre sur cette voie, à la recherche de ce qu'il avait désiré si ardemment en quittant sa forêt. Trouver la mort, et laisser cette vie derrière lui, cette vie qui n'avait que trop durer. Cette vie qui était vide désormais.
Mais son cœur en décida autrement. Ses tourments, son chagrin, sa douleur dont seul un elfe pouvait en sentir toute la complexité, avait fini par s'étioler, le quittant un peu plus à chaque pas qu'il avait fait. Sa colère s'était apaisée dans la fatigue et les efforts qu'il avait procurés pour gravir les Montagnes où traverser ce désert. Sa mémoire avait enfoui au fond de son âme ce qu'il cherchait à oublier, ne lui laissant que le délicat parfum, que le souvenir entêtant du sourire d'Ayuta, que le regard embrasé de Terio. Et dans ce silence qui produisait ses pas, dans ce vide qui habitait son cœur, Athel Loren fit à nouveau battre son sang dans ses veines.
Alors, comme à chaque fois, il s'en était retourné. Et de son passage en ce monde, il ne laissait qu'une emprunte de pas dans le sable, qu'une flèche tirée dans la Montagne.
Le chemin de pierres blanches continuait, du moins, seulement ses yeux étaient en mesure de le voir. Il n'avait aucune idée de jour ou de la nuit, si l'Aube ou le Soir voletaient au-dessus de la forêt. Son esprit était absent de sa réalité. Seul son cœur parlait. Son domaine s'offrit alors à lui, une maison bâtie le long d'un arbre, s’entremêlant entre ses branches, filant jusqu'à sa cime. Mais il s'en détourna, longeant le petit cours d'eau qui se faufilait dans cette partie de la forêt. Les Asrai ne produisaient nulle tombe, nulle sépulture. Ils appartenaient à Athel Loren. Ils en étaient le sang, tout comme la forêt était leur cœur. Mais cela ne les empêchait pas de se souvenir des disparus, des êtres retournés à la terre à tout jamais.
D'Ayuta, il avait gardé une cape finement ouvragée, un morceau de tissu dont il ne séparait jamais. Il le détacha de ses épaules, et le déposa délicatement sur une pierre blanche, marquant la fin du chemin qu'il avait suivi, la fin de son chemin à lui. S'agenouillant, il embrassa délicatement la cape, avant de se relever. Il déposa alors son arc juste à côté, regardant d'un œil amusé, emprunt d'une légère amertume, les marques que Terio avait fait sur le bois de l'arme pour chaque vie honnie qu'il prenait.
Il se releva, levant son regard vers les cimes. Les rayons du crépuscule rougeoyaient dans le ciel.
Une ombre immense passa au-dessus de lui, alors que nuit et lumière ne faisaient plus qu'une à présent.
Le silence de ses pas, la solitude d'être là.
Et avec ce kaléidoscope de couleurs, venait un panel de senteurs et de saveurs dont ses sens n'avaient que trop longtemps été privés. L'odeur de la pluie, et du délicat parfum qu'elle laissait sur les feuilles, celle du vent sucré qui soufflait entre les branches, charriant l'odeur féroce et emplie de puissance des créatures qui habitaient ses bois. Mais tout cela n'était rien en comparaison du son. De cette musique, de cette unique mélopée, de ce sentiment étrange qu'elle produisait en son sein, endormant son esprit, réveillant son lien avec la forêt. Les battements du cœur d'Athel Loren ne souffrait nulle comparaison.
Laissant ses doigts effleurer les herbes, les laissant glisser le long de l'écorce des arbres, du revêtement mousseux de la pierre, il continuait à s'avancer, suivant ce chemin blanc qui semblait ne s'ouvrir que pour lui. Quiconque l'aurait suivi se serait inévitablement perdu, la forêt traitant un étranger comme le pire des intrus. Mais lui, lui se serait laissé perdre volontiers pour pouvoir à jamais en parcourir les sombres et enchanteresses frondaisons. Sa longue vie s'étirait depuis des siècles déjà, il avait vu vivre et mourir tant de choses en ce monde et ailleurs, qu'il n'aspirait désormais qu'à un peu de calme, une légère sérénité, une paix, qui bien qu'il savait qu'elle ne serait qu'éphémère, n'en était que plus belle, car elle ne brillait jamais autant qu'avant de disparaître.
Il n'était plus seul. Il était chez lui. Mais il savait au fond de son cœur, qu'il repartirait à nouveau.
Aussi attaché à son monde qu'il l'était, il n'arrivait jamais à se défaire, à se séparer, de cet étrange sentiment qui l'amenait toujours à quitter la relative sécurité de son foyer. Il était un solitaire, un forestier, un Gardien des chemins et des sentiers d'Athel Loren. Il en connaissait plus sur cette forêt que nombre de ses frères. De ses recoins les plus sombres, où ne régnaient que folie et meurtre, à ses edens secrets, ses jardins suspendus dans un océan de colère et d'apaisement, des îlots de bien-être et de douceur, aussi rares que magnifiques. Mais il savait que les sentiers ne se souciaient guère des frontières des Elfes.
A l'aube d'un crépuscule, il y a des siècles déjà, il était parti pour la première fois. Laissant Athel Loren disparaître derrière lui, il s'était aventuré par-delà les Montagnes, plongeant son regard dans une forêt noire et désespérée, l'anathème le plus parfait de celle qu'était la terre des Asrai. La corruption gangrenait chaque parcelle de terre, et les mugissements de bêtes sanguinaires résonnaient entre les branches, le vent qui les portait charriant une odeur de sang et de mort. Effrayé, meurtri dans son âme et dans son cœur, il s'en était alors retourné sur ses pas, désireux de guérir son cœur de la décrépitude dont il avait été le témoin. Il s'était alors juré de ne plus jamais s'aventurer hors de ses frontières.
Il n'avait jamais été doué pour tenir une promesse.
Son second voyage l'avait conduit plus loin encore, alors que la jeunesse habitait encore son cœur avec ardeur. Parcourant les terres de Bretonnie, il était parti loin vers le sud, ne voyageant que de nuit, où à la tombée du jour. Il n'avait été qu'une ombre parmi les ombres, observateur silencieux d'un monde semblant tourner au ralenti, tout en courant éperdument vers son trépas. Il avait admiré les oriflammes colorés et les armures ouvragées des Chevaliers, admiratif devant la force des chevaux qu'ils montaient, désespérait de voir que certains de ses hommes se complaisaient à en servir d'autres, sans aucune raison moins prosaïque qu'un rang pour les tenir dans cet état servile.
Une nouvelle fois, il s'en était retourné chez lui, l'esprit emplit d'images et de souvenirs, de choses qu'il serait le seul à se souvenir dans cent ans, dans mille ans. Un Elfe n'oubliait jamais, peut-être avait-il seulement du mal à se souvenir, mais chaque chose avait sa place dans le panthéon de sa mémoire et de son esprit.
Puis les guerres et le poison avaient pris d'assaut sa forêt. Les mêmes bêtes que les hommes de l'Empire n'avaient de cesse de chasser s'en étaient pris à eux. Il avait combattu, et comprit alors qu'il ne s'était rendu compte de la valeur d'une vie qu'une fois que celle-ci s'éteignait. Ayuta était morte un soir d'automne, une hache figée en travers de la poitrine, son sang nourrissant Athel Loren, comme une offrande pour un passeur inexistant. Elle l'avait regardé une dernière fois, caressant sa joue de sa main incrustée de sang. Puis elle s'était éteinte. Terio lui avait sauvé la vie, l'écartant de la charge d'une créature aussi difforme qu'incohérente. La bête avait emporté son frère, avant de s'en saisir et de séparer sa tête de son corps d'un coup de croc. La fureur d'Arahan l'avait alors envahie, et quand il revint à lui, sa douleur n'en fut que plus grande encore.
La fin des conflits avait sonnés le début de son troisième et dernier voyage à ce jour. Il était parti pour une seule raison. Son cœur s'envenimait, se laissait gangrener par le poison de la colère et de la vengeance. Il en voulait aux Hommes-Bêtes de lui avoir tant pris, il en voulait à son peuple d'être aussi fragile, lui qui n'avait de cesse de s'enorgueillir de sa force. Il en voulait à Athel Loren de n'avoir pas protéger ses enfants. Alors pour éviter cela, il était parti. Son voyage fut le plus long qu'il n'eut jamais entreprit.
Il prit la direction de l'est, suivant les courbes de l'horizon, se guidant aux rayons du soleil couchant. Il parcourut les terres des Hommes, solitaire. Il vit des cités rongées par l'orgueil et l'avarice, des mercenaires piller villages et chaumières sans raison. Partout où il se rendait, il ne trouvait que la mort et le froid. Le froid des cadavres, le froid de l'absence de vie. Il prit le chemin des Montagnes Enneigées, où s'érigeaient encore les ruines d'une grandeur et d'une gloire passée, d'une époque que chacun parmi son peuple connaissait. Une époque où les Elfes et les Nains étaient unis par l'amitié et le serment, avant que des sentiments très humains ne les déchirent, eux qui se prétendaient si différemment de ses barbares nomades qu'étaient les hommes de ce temps.
Pour la première fois depuis son troisième départ, il s'arrêta. Pas pour se reposer, ni pour se nourrir. Seulement pour admirer. Admirer la vue qui s'offrait à lui, voir que les merveilles de ce monde ne résidaient pas dans les créations humains, naniques ou elfes. La Nature se suffisait à elle-même. Ils n'étaient que de passages, simples bénéficiaires des bienfaits que la terre offrait à quiconque parvenait à se pencher pour en ramasser les fruits. Il fit alors sa première offrande à cet autre monde. Chuchotant un peu de magie, il enchanta une flèche, pour qu'elle survole à jamais ces sommets et ces versants qu'il n'aurait jamais pensés voir un jour.
Puis il reprit sa route.
Un silence chargé de souvenirs. Un désert infini, un vent charriant un millier de murmures de choses passées et d'autres à venir. Sans réellement comprendre pourquoi, il n'osa pénétrer plus avant, se contentant de longer la côte de cette terre désolée, scrutant le reflet auréolé d'or des nefs de la lointaine Zandri. Voilà déjà trois ans qu'il était parti. Trois ans qu'il n'avait plus entendu sa propre voix. Trois ans qu'il n'avait vu que les hommes de loin. Trois ans qu'il était seul, absent des sensations dont il remarqua subitement le manque. Son esprit lui dictait de continuer, de poursuivre sur cette voie, à la recherche de ce qu'il avait désiré si ardemment en quittant sa forêt. Trouver la mort, et laisser cette vie derrière lui, cette vie qui n'avait que trop durer. Cette vie qui était vide désormais.
Mais son cœur en décida autrement. Ses tourments, son chagrin, sa douleur dont seul un elfe pouvait en sentir toute la complexité, avait fini par s'étioler, le quittant un peu plus à chaque pas qu'il avait fait. Sa colère s'était apaisée dans la fatigue et les efforts qu'il avait procurés pour gravir les Montagnes où traverser ce désert. Sa mémoire avait enfoui au fond de son âme ce qu'il cherchait à oublier, ne lui laissant que le délicat parfum, que le souvenir entêtant du sourire d'Ayuta, que le regard embrasé de Terio. Et dans ce silence qui produisait ses pas, dans ce vide qui habitait son cœur, Athel Loren fit à nouveau battre son sang dans ses veines.
Alors, comme à chaque fois, il s'en était retourné. Et de son passage en ce monde, il ne laissait qu'une emprunte de pas dans le sable, qu'une flèche tirée dans la Montagne.
Le chemin de pierres blanches continuait, du moins, seulement ses yeux étaient en mesure de le voir. Il n'avait aucune idée de jour ou de la nuit, si l'Aube ou le Soir voletaient au-dessus de la forêt. Son esprit était absent de sa réalité. Seul son cœur parlait. Son domaine s'offrit alors à lui, une maison bâtie le long d'un arbre, s’entremêlant entre ses branches, filant jusqu'à sa cime. Mais il s'en détourna, longeant le petit cours d'eau qui se faufilait dans cette partie de la forêt. Les Asrai ne produisaient nulle tombe, nulle sépulture. Ils appartenaient à Athel Loren. Ils en étaient le sang, tout comme la forêt était leur cœur. Mais cela ne les empêchait pas de se souvenir des disparus, des êtres retournés à la terre à tout jamais.
D'Ayuta, il avait gardé une cape finement ouvragée, un morceau de tissu dont il ne séparait jamais. Il le détacha de ses épaules, et le déposa délicatement sur une pierre blanche, marquant la fin du chemin qu'il avait suivi, la fin de son chemin à lui. S'agenouillant, il embrassa délicatement la cape, avant de se relever. Il déposa alors son arc juste à côté, regardant d'un œil amusé, emprunt d'une légère amertume, les marques que Terio avait fait sur le bois de l'arme pour chaque vie honnie qu'il prenait.
J'ai vu l'obscurité revenir en ce monde. J'ai vu le ciel s'écrouler, et la nuit projetait son ombre au-dessus du sol. J'ai vu la mort et la guerre, j'ai vu le silence et la solitude.
Il se releva, levant son regard vers les cimes. Les rayons du crépuscule rougeoyaient dans le ciel.
J'ai vu le poison qui parcourt la terre. J'ai vu sa beauté et sa douceur, son horreur et sa détresse, son chagrin et sa solitude. Et dans cette solitude que je recherchais, j'ai compris que je ne pouvais l'être qu'ici, solitaire, pour pouvoir continuer à vivre.
Une ombre immense passa au-dessus de lui, alors que nuit et lumière ne faisaient plus qu'une à présent.
J'ai vu le feu qui brûle dans ses veines, dans chaque rivière, dans chacun de ses sommets, cette Nature ardente qui se consume elle-même.
Le silence de ses pas, la solitude d'être là.
Et ce feu brûle dans mon cœur désormais.
...
Note : Aube et Soir est une référence aux Soeurs du Crépuscule Næstra et Arahan.
(1950 mots)
Dernière édition par Kelsier Criid le Dim 23 Nov 2014 - 20:45, édité 2 fois
Vlad Primarque - Messages : 3582
Age : 34
Corax Maître de Guerre - Messages : 6772
Age : 46
Localisation : Délivrance / Lorraine
Re: [Lettre de Sang 10] J'ai vu le Feu
Ouep, du bon Battle ça fait du bien.
Alors certains pourraient reprocher un manque d'action mais perso j'ai bien compris ton choix "artistique", ce style poétique et mélancolique.
Même si j'ai toujours eut beaucoup de mal avec les Elfes, il faut avouer que c'est très réussis et original, bravo collègue.
Et dire que je voulais écrire sur des HB massacrants des ES^^ ça aurait fait un beau complément à ton récit avec le point de vue de leurs ennemis jurés. Bah ça sera pour une prochaine, surement hors concours.
Sur ce je m'en vais lire celui de Mortarion, du Battle encore, ça fait du bien dans cette avalanche permanente de 40k.
Alors certains pourraient reprocher un manque d'action mais perso j'ai bien compris ton choix "artistique", ce style poétique et mélancolique.
Même si j'ai toujours eut beaucoup de mal avec les Elfes, il faut avouer que c'est très réussis et original, bravo collègue.
Et dire que je voulais écrire sur des HB massacrants des ES^^ ça aurait fait un beau complément à ton récit avec le point de vue de leurs ennemis jurés. Bah ça sera pour une prochaine, surement hors concours.
Sur ce je m'en vais lire celui de Mortarion, du Battle encore, ça fait du bien dans cette avalanche permanente de 40k.
BlooDrunk Modérateur - Messages : 9076
Age : 42
Localisation : Sarum 57
Re: [Lettre de Sang 10] J'ai vu le Feu
Un trés beau texte , plein de poésie et de mélancolie .
Un bel exercice de style , bravo .
Un bel exercice de style , bravo .
: chevaux , non ?la force des cheveux qu'ils montaient
———
"Pride,not flesh, is weak"
"Quel mal pouvait bien causer l'étude et l'apprentissage ?"
Magnus Maitre de chapitre - Messages : 2299
Age : 46
Localisation : Normandie , LE pays du Cidre ...
Re: [Lettre de Sang 10] J'ai vu le Feu
Merci à vous trois !
@BlooDrunk : oui, j'avoue qu'il n'y a pas vraiment, voir pas du tout d'action dans mon récit, mais je trouvais que l'intro se prétait bien à ce genre de texte (et j'avoue aussi que je suis bien plus à l'aise quand il s'agit d'écrire de manière plus contemplative). En tout cas, content que ça t'ai plu !
Ah oui, le parallèle entre nos deux textes auraient pu être intéressant ! J'espère que tu le posteras quand même !
Oui, merci Magnus, elle m'avait échappé à la relecture celle-là !
@BlooDrunk : oui, j'avoue qu'il n'y a pas vraiment, voir pas du tout d'action dans mon récit, mais je trouvais que l'intro se prétait bien à ce genre de texte (et j'avoue aussi que je suis bien plus à l'aise quand il s'agit d'écrire de manière plus contemplative). En tout cas, content que ça t'ai plu !
Et dire que je voulais écrire sur des HB massacrants des ES^^ ça aurait fait un beau complément à ton récit avec le point de vue de leurs ennemis jurés. Bah ça sera pour une prochaine, surement hors concours.
Ah oui, le parallèle entre nos deux textes auraient pu être intéressant ! J'espère que tu le posteras quand même !
: chevaux , non ?la force des cheveux qu'ils montaient
Oui, merci Magnus, elle m'avait échappé à la relecture celle-là !
Vlad Primarque - Messages : 3582
Age : 34
Re: [Lettre de Sang 10] J'ai vu le Feu
Voilà un texte avec les corones de faire de la poésie dans un forum peuplé de fanatiques du bolter ! +1
Descriptions riches pleines de sensations et d'images précises;
+ la bonne mise en page et relecture offre une lecture facile et à la mesure de la crépusculaire culture elfe.
Elle est aussi un hommage à la forêt, véritable centre de la culture héroïque-fantasy.
Moi qui ne connait rien à Battle, c'est une piqûre de rappel = combien battle n'est pas un simple "tolkien like" mais est un aspect généalogique des univers de GW = l’héroïque fantasy, et toute la richesse des bases posées par Tolkien qui ont fondé pour une part le fluff de 40k.
À lire (ou relire):
Athel Loren
Je promet : je râlerais plus sur un "trop" de battle sur le forum
moi qui ait été complètement absorbé par la mise en scène du Lords of Shadow 1, ..et justement pas du 2.
Descriptions riches pleines de sensations et d'images précises;
+ la bonne mise en page et relecture offre une lecture facile et à la mesure de la crépusculaire culture elfe.
Elle est aussi un hommage à la forêt, véritable centre de la culture héroïque-fantasy.
Moi qui ne connait rien à Battle, c'est une piqûre de rappel = combien battle n'est pas un simple "tolkien like" mais est un aspect généalogique des univers de GW = l’héroïque fantasy, et toute la richesse des bases posées par Tolkien qui ont fondé pour une part le fluff de 40k.
À lire (ou relire):
Athel Loren
Je promet : je râlerais plus sur un "trop" de battle sur le forum
moi qui ait été complètement absorbé par la mise en scène du Lords of Shadow 1, ..et justement pas du 2.
Dernière édition par - Ghost of Arkio - le Mer 5 Nov 2014 - 19:32, édité 1 fois
Re: [Lettre de Sang 10] J'ai vu le Feu
Merci beaucoup Ghost, je suis vraiment content que tu aies aimé mon récit !
Et si j'ai pu, même qu'un peu, te redonner goût à Battle, alors j'en suis encore plus content !
Merci à tous pour vos commentaires encore une fois, c'est réellement motivant pour continuer à écrire !
Et si j'ai pu, même qu'un peu, te redonner goût à Battle, alors j'en suis encore plus content !
Merci à tous pour vos commentaires encore une fois, c'est réellement motivant pour continuer à écrire !
Vlad Primarque - Messages : 3582
Age : 34
Re: [Lettre de Sang 10] J'ai vu le Feu
Bon j'avoue que les elfes c'est pas ma tasse de verveine, loin de là, mais le récit est vraiment fidèle à leur état d'esprit, et pour ça bravo ^^
On va dire que le fait que l'histoire m'ait un peu agacé est une preuve de la justesse de ta rédaction aha
Et c'est vrai qu'il y a un petit côté Silmarillion là dedans,.. ton texte m'a même rappelé certains passages des annexes du Quatrième Âge, où Arwen erre dans les bois de la Lothlórien après la mort "contrôlée" d'Aragorn. J'avais bien aimé ce passage, très prenant.
J'essaye vraiment de mettre de côté mon opinion négative sur la race elfique et sa mentalité, donc je m'arrêterai là, mais quand même, on ressent bien leur "force tranquille", c'est bien rendu comme il faut. Même si ça manque un peu d'action :p
Mais c'est bien écrit en tout cas.
Emperor Maître de Guerre - Messages : 4754
Re: [Lettre de Sang 10] J'ai vu le Feu
Très beau texte. C'est travaillé jusqu'au bout.
Compliments.
Compliments.
“La connaissance est en elle-même puissance.”
MysterJZ Space Marine - Messages : 225
Age : 44
Localisation : Genève ou sur Prospero...
Re: [Lettre de Sang 10] J'ai vu le Feu
Très beau voyage intérieur. Agréable à lire malgré le manque d'action
Pour la forme et le rendre parfait,
Pour la forme et le rendre parfait,
- 2 erreurs de conjugaison:
- saveurs dont ses sens n'avaient que trop longtemps été privés.
Laissant ses doigts effleurer les herbes
Boss Gobblitz Space Marine - Messages : 263
Age : 44
Localisation : 1 pied en 74 l'autre en 01
Re: [Lettre de Sang 10] J'ai vu le Feu
Emperor a écrit:Et c'est vrai qu'il y a un petit côté Silmarillion là dedans,.. ton texte m'a même rappelé certains passages des annexes du Quatrième Âge, où Arwen erre dans les bois de la Lothlórien après la mort "contrôlée" d'Aragorn. J'avais bien aimé ce passage, très prenant.
Oh, tu ne me fais que trop d'honneur là !
Merci beaucoup !
Merci à vous deux aussi MysterJZ et Boss, heureux que vous ayez apprécié mon récit ! ^^
@Boss : et merci aussi pour les fautes qui m'avaient échappé, je corrige ça.
Vlad Primarque - Messages : 3582
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Re: [Lettre de Sang 10] J'ai vu le Feu
Excellent ...
Un texte bien "coloré" et une belle ambiance "Elfique". De belles descriptions et le manque d'action ne m'a pas manqué tant j'étais pris dans ton univers ...
J'ai justement revu "La désolation de Smaug" hier soir ...
Un texte bien "coloré" et une belle ambiance "Elfique". De belles descriptions et le manque d'action ne m'a pas manqué tant j'étais pris dans ton univers ...
J'ai justement revu "La désolation de Smaug" hier soir ...
" Dans le doute, frappe encore...."
http://arghail.blogspot.be/
Re: [Lettre de Sang 10] J'ai vu le Feu
Un très beau texte , avec une écriture fluide et qui retranscrit toute la finesse des Elfes.
Le manque d'action ne pas manqué , j'ai vraiment trouvé ce texte léger à lire et le discours intérieur très réussi.
Bravo Kelsier =)
Le manque d'action ne pas manqué , j'ai vraiment trouvé ce texte léger à lire et le discours intérieur très réussi.
Bravo Kelsier =)
Hydra Dominatus
Ave Dominus Nox
Jago Sevatarion Space Marine - Messages : 402
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